La Mer de la Fertilité

La neige de printemps s’est dissoute
En flaques, en vasques corollées.
Nos pieds y trempent, salis de salissures froides.
Au loin, des montagnes.

Le bruit est confus et le silence est trouble.
Le ciel est trop clair à nos yeux.
L’air est sec et attaque rocs et corps.
Nulle odeur dans ce froid.

Les chemins sont cachés, bouchés,
Dissimulés invisibles par les plantes grimpantes
Et les vallonnements en vagues successives.
Ils devront nous conduire un pas derrière l’horizon.

Les chevaux échappés sont là pour nous rappeler
Qu’il existe un enclos ;
Frémissant comme les formes des nuages,
Fuyant comme le vent sous les ombrages.

Il se pare de beauté, et de liberté parfois,
Monde par-dessus le monde,
Ivresse par-dessus l’ivresse,
Qui attaque le cerveau de ses armes de raison.

Des mécaniques existent, comme des fils tendus,
Qui soutiennent la mer et la font se lever ;
Des cordes portent le soleil à chaque nouvelle aurore
Et les reliefs sont poussés par des vérins puissants.

Le temple de l’aube s’éclaire de feux radieux
Sur la blancheur de soie du triste paysage.
Il s’éveille et grandit ourlé de ses feux d’or,
Resplendissant vainqueur de la nuit achevée.

Temple merveilleux, à la folle architecture,
Frivole de promesse comme de géographie ;
Chaque instant qui finit le dissout avec lui
Pour le faire apparaître en un autre endroit.

On le voit de la mer, sur une île lointaine,
Au creux d’un précipice ou au cœur d’un regard ;
Poumon artificiel aux allures d’azur,
Il a toute la douceur d’une morphine magnifique.

Étrange sentiment que cette main retenue
Au moment d’effleurer la joue de l’autre aimé.
Étrange le terreau qui pousse sous nos pieds,
Nous enserre de ses lianes, nous nourrissant de vie.

La beauté, je l’ai lu, disparaît devant la conscience :
D’infinies écumes s’étirent sous d’infinis soleils
Et ce n’est pourtant que la mer qui meurt ;
La chaleur qui se lève ne la ranimera pas.

Les couronnes de fleurs se fanent,
Les robes qui devaient rester propres se salissent,
Il ne nous restera, une fois nos yeux fermés,
Que l’odeur un peu âcre de l’ange en décomposition.

in Les Mécaniques,
Éditions À Plus d’un Titre, 2008

 

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