À propos de l’expo Blanqui

Exposition
Les Hypothèses Astronomiques de Louis-Auguste Blanqui.

En 1871, dans la solitude forcée de sa prison du Fort du Taureau, en Bretagne, le révolutionnaire français Auguste Blanqui écrit son livre L’Éternité par les Astres, sous-titré Hypothèses Astronomiques.

Étrange ouvrage, vraiment, que ce court texte mélangeant astrophysique et philosophie sociale ; quelques extraits seulement en sont publiés en 1872 lorsque Blanqui depuis sa cellule remet le manuscrit à sa sœur, et il faudra attendre un siècle, en 1973, pour redécouvrir le texte et le voir édité dans son intégralité. Aujourd’hui encore, ce livre reste très peu connu parmi les œuvres politiques plus largement diffusées du révolutionnaire.

Blanqui n’était pas un scientifique de formation ; il avait étudié le droit et la médecine dans sa jeunesse mais s’était lancé bien vite dans la politique. Son texte cependant se présente comme un ouvrage sérieux, très documenté et, pour une bonne partie de ses observations, en phase avec les découvertes astronomiques les plus récentes de son siècle (la spectrométrie, permettant de trouver la composition chimique des astres ; les cycles de vie des soleils, l’épuisement de la chaleur et le refroidissement des étoiles…) ou avec les théories d’autres observateurs des cieux plus orthodoxes. Il se différencie cependant nettement des autres ouvrages d’astronomie de cette époque par l’ajout d’explications assez personnelles dans la description et l’explication de certains phénomènes célestes et par l’utilisation de cette astrophysique pour mettre en place une théorie sociale et philosophique, très personnelle également mais qui influencera plus tard des penseurs comme Nietzsche et son “Éternel retour” ou Walter Benjamin.

Du point de vue de la science, Blanqui envisage dans ces pages rien moins qu’expliquer le fonctionnement de l’univers dans son ensemble. Se basant pour cela sur les théories astronomiques posées par le mathématicien Pierre-Simon de Laplace à la fin du XVIIIème siècle dont le Système du Ciel fait toujours référence à cette époque, mais qu’il prétend corriger et faire évoluer, Blanqui pose dans une langue littéraire d’une beauté rare et magique, le spectacle d’un univers de haute poésie, infini dans le temps et dans l’espace. Là, puisque qu’aucun atome de matière ne saurait se perdre et que l’univers éternel ne saurait mourir ni par le froid, ni par l’épuisement de la matière, des soleils meurent mais d’autres naissent à leur place à chaque minute, de gigantesques blocs de météorites traversant le vide à des vitesses vertigineuses et s’entrechoquant dans les profondeurs glacées comme des silex colossaux pour rallumer par frottement et embrasement les astres flambeaux trépassés et raviver la chaleur des cieux. Là, les comètes, ces “créatures inoffensives et gracieuses”, ces “nihilités errantes” dont on ne sait absolument rien de la composition à cette époque, viennent par milliers se prendre au piège de l’attraction solaire pour s’entasser et mourir à la limite de l’orbe terrestre dans un vaste cimetière cométaire “aux lueurs mystérieuses, apparaissant les soirs et matins des jours purs”.

Philosophiquement, Blanqui, dont les années de prison n’ont pas calmé les ardeurs révolutionnaires et athées, met aussi ici en place une théorie de l’éternité de l’Homme expliquée, non plus par la religion, mais par les lois fondamentales de la simple physique. On connaît à cette époque 64 corps chimiques simples constituant seuls ou par combinaison toute la matière existante : hydrogène, oxygène, azote, carbone, etc. Admettant même, comme le fait Blanqui, qu’on en découvre encore et que la liste de ces corps passe à 100, le nombre possible de ces combinaisons aussi grand soit-il, est fini. Dès lors, prenant place dans un univers infini qui ne supporte pas le vide de la matière, il est nécessaire que ces combinaisons se répètent et reproduisent quelque part ce qu’elles ont déjà produit ailleurs. Ainsi non seulement des Terres-sosies de la nôtre existent en nombre étourdissant, disséminées dans l’univers, mais encore, sur chacune d’elle, des répliques de nous-même vivent la même vie que nous, simultanément ou en décalé dans le temps, et, les mêmes causes provoquant toujours les mêmes effets, ont eu le même passé que nous, auront le même futur…

L’Homme est donc éternel, oui, même s’il n’a pas accès aux vies de ses sosies, car par le nombre de ses copies (on pourrait presque dire aujourd’hui de ses clones), il est désormais dans une impossibilité de mourir. Mais éternel d’une éternité un peu triste, sans doute, cet Homme. Si tout est voué à la répétition mécanique des choses, le révolutionnaire Blanqui, quel que soit le nombre de ses répliques dans l’univers, n’échappera jamais ailleurs aux 37 années de prison qu’il a vécu ici, dans notre système solaire, et pas plus qu’ici, il ne verra aboutir, quels que soient ses efforts, la victoire de ses idées et leur application concrète. Que faire, dès lors ? On n’est pas très loin de Camus et de sa philopsophie de l’Homme face à l’Absurde. Heureusement pour Blanqui, qui rejoint en cela certaines idées atomistes des philosophes matérialistes de l’Antiquité, l’infini laisse la place à toutes les variantes. On lira à ce propos l’excellente préface du philosophe Jacques Rancière à la dernière édition de l’Éternité par les astres, parue aux éditions Les Impressions Nouvelles (Belgique).

Procédant à la manière de Blanqui, expliquant un univers complexe par la combinaison multiple d’une quantité limitée de corps simples, cette exposition de dessins et de textes manuscrits à l’encre de Chine reprenant des passages du texte original, tente au travers de dessins de grands formats (70×50 cm) combinant calque et papier, et de moyens formats (~ 45×35 cm) sur papier, de retrouver les éblouissements physiques et philosophiques qui – le lecteur s’attaquant à ce texte en est immédiatement persuadé – ont bouleversé Blanqui lors de la composition de ces Hypothèses Astronomiques. La rigueur et la sobriété scientifique sont là, mais peuvent cacher comme le montre ce livre, beauté et haute poésie. Ces dessins à l’encre, minimalistes, basés sur le texte de Blanqui s’inspirent également graphiquement tout autant des gravures au trait du XIXème que des Figures de Widmanstätten, découverte scientifique de 1804 sur la structure des météorites ferreuses.

Jean-Baptiste Cabaud

RETOUR