
Fred Bernard, qui a illustré en 2007 mon premier livre Le Petit Inconnu au Ballon, a publié, il y a peu, sa toute dernière bande dessinée, Nos Héritages. Dans ce récit autobiographique adressé à son fils, il parle de ses évolutions personnelles, de ses différentes périodes de vie, mises en regard avec celles de notre planète, depuis la préhistoire et les premières traces animales et végétales, jusqu’à nos civilisations contemporaines.
Il y revient notamment sur le Castel Berthelot, une expérience que nous avons menée ensemble, lui, Nicolas Voituret (alias DJ Gaston pour les habitués des nuits festives lyonnaises) et moi, lorsque nous étions tous les trois colocataires, dans notre appartement de l’avenue Berthelot à Lyon, au milieu des années 1990.
Les études se terminaient pour nous et nos amis ; la vie, l’infini du champ des possibles s’étalait enfin devant nous, et paradoxalement, après l’effervescence et l’immense richesse de la vie amicale que nous avions vécue jusqu’ici, nous avions le sentiment que l’époque semblait se refroidir. Beaucoup de nos amis, proches pourtant, s’éloignaient sans le dire, sans même le savoir, peut-être. Se renfermaient, ou bien simplement se concentraient ailleurs. Parce qu’il y avait ce premier emploi, cette première relation un peu plus sérieuse, ce premier appartement qu’il fallait prendre à deux… Les gens sortaient moins, ne sortaient plus, Parce qu’il y a boulot demain, Non, parce que là, on est crevés…
Oui, l’époque se refroidissait, on n’arrivait plus à voir les gens, nous ne comprenions pas, nous étions en manque de cette jubilation d’amour-amitié qui nous avait tant porté jusqu’ici et nous nous demandions si ce refroidissement social était simplement un hiver rigoureux ou si nous entrions dans une période glaciaire de longue durée.
Pour répondre à cette question, nous avons créé le Castel Berthelot : des soirées, chez nous, uniquement dédiées à l’exaltation de l’amitié la plus haute. Pour recevoir nos amis, nous mettions les petits plats dans les immenses : Nico avait une formation de cuisinier dans des restaurants de renom et préparait des plats à la mesure. Fred ramenait de Savigny-lès-Beaune et de sa Bourgogne natale des vins de producteurs choisis. J’accueillais nos invités selon un protocole bien établi, avec musique particulière, découverte du menu du jour calligraphié par Fred, journal de l’appartement, Le Monde du Castel Berthelot, spécialement réalisé et imprimé par mes soins pour chaque Castel et distribué aux invités… L’ambiance lumineuse rouge, sous les lampes à lave délicieusement sixties du salon, était soigneusement étudiée, divinement cosy. On parlait, on riait, on se retrouvait. Tout le monde finissait la soirée en créant des Mégoes™, des petites sculptures contemporaines réalisée sur filtre de cigarettes, que l’on réunissait en plaquettes thématiques (chanteurs, peinture classique, opprimés de la société, personnages de BD…), et dont la visite commentée de la collection, à l’arrivée de chaque Castel, était l’une des attractions préférées de nos visiteurs. Il y a cette phrase incroyable de Rudyard Kipling : « Non seulement nous étions heureux, mais en plus, nous le savions. » Il y a eu un peu de ça, au Castel Berthelot.
L’expérience a duré environs cinq ans, et nous avons fait, à une époque, jusqu’à un ou deux Castel par semaine. Nous avons arrêté lorsque des invités nous ont demandé un jour si l’on pouvait organiser des Castel Berthelot spécialement pour eux, avec quelques-uns de leurs amis que nous ne connaissions pas, moyennant rétribution.
Fred Bernard, dans ses BD ou ses albums jeunesse, a toujours été un raconteur d’histoire incroyable. Il le prouve encore une fois dans cette nouvelle BD, beaucoup plus personnelle, mais tout autant universelle.
Nos héritages
Une histoire de nos évolutions racontée à mon fils
240 pages – 21.7 x 28.8 cm – Couleur – Broché
ISBN : 9782203172005
CASTERMAN – 24,00 €
Retrouvez le livre sur le site de l’éditeur, en cliquant ici.

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